Faire pousser des plantes comestibles entre deux immeubles ou sur les toits… En apparence, c’est un paradoxe, mais en pratique les parcelles cultivées et les jardins potagers se répandent dans les villes, sous toutes les latitudes.
Présentée comme nouvelle, l’agriculture en ville est en réalité une pratique ancienne un peu oubliée dans les grandes cités occidentales. Jardins ouvriers et/ou partagés étaient monnaie courante jusqu’à ce que l’exode rural et l’urbanisation en tâche d’huile viennent les effacer. Aujourd’hui, on la redécouvre sous des formes innovantes, parfois high tech, pouvant mêler biodiversité, biodynamie, permaculture ou aquaponie pour répondre aux attentes et besoins contemporains.
Les villes peuvent-elles nous alimenter ?
Selon les régions du globe, l’agriculture urbaine ne répond pas aux mêmes objectifs. L’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO) l’encourage de longue date dans les pays en voie de développement : 800 millions de personnes la pratiquent, comme moyen de subsistance. A Caracas ou La Paz, par exemple, les familles consomment les légumes de leur potager ou en tirent un revenu de complément, qui peut faire une différence sensible dans leur niveau de vie. Au Bengladesh, à Madagascar ou au Népal, l’agriculture urbaine représente jusqu’au tiers de la production écoulée sur les marchés.
Les cultures en ville donnent des résultats étonnants : 1 m² peut fournir jusqu’à 20 kilos de nourriture par an ! Mais les experts s’accordent généralement à dire qu’elles ne permettent pas à une métropole d’être autosuffisante. Les espaces disponibles pour les cultures ne sont pas suffisants et le coût d’une production locale, même allégé du transport, reste généralement supérieur à celui d’une culture agricole à haut rendement, dans une exploitation dédiée. Du reste, dans les pays industrialisés, l’objectif n’est pas tant de produire beaucoup que d’explorer des solutions pour aménager le territoire, améliorer le quotidien des habitants et faire œuvre de pédagogie.
Nourrir les esprits autant que les corps
Une étude française (Inra-Jassur) envisage l’hypothèse que les cultures en pied d’immeubles à Marseille, Lyon, Nancy, Lille, Toulouse, Nantes, Paris puissent avoir un effet positif sur l’alimentation des riverains : moins de malbouffe, un régime plus riche en végétaux, plus équilibré et un impact positif sur les enfants. Les petits citadins qui grandissent près d’un potager savent que les tomates et les aromates ne poussent pas dans des cagettes en plastique sous les néons des supermarchés ! Côté aménagement du territoire, l’implantation de carrés maraîchers dans des espaces abandonnés par des industries, comme c’est le cas à Detroit aux Etats-Unis ou récupérées sur des zones ferroviaires inexploitées, font coup double : des terrains en friche retrouvent une fonction et permettent d’alimenter un quartier en circuit court. Elle participe de la transition écologique en réintroduisant de la biodiversité et en permettant aux habitants de se nourrir partiellement avec des fruits et légumes produits sur place, au bilan carbone très réduit.
Bonjour veaux, vaches, couvées
L’agriculture, c’est bien sûr aussi l’élevage. Assez inattendu en ville, il joint, là aussi, l’utile à l’agréable : bovin ou ovin tondent les espaces verts, amènent de la vie dans le quartier. Des brebis sélectionnées pour leur petite taille et leur résistance sont d’ores et déjà « employées » dans ce cadre. Et les copropriétés peuvent, moyennant autorisation, installer des poulaillers, qui assurent recyclage de certains déchets organiques (les épluchures, bien sûr) tout en produisant des œufs frais… Encore faut-il que les voisins s’entendent pour accepter l’inévitable chant du coq !
L’agriculture du futur
L’agriculture urbaine se développe aussi dans des projets très ambitieux. Le concept de ferme verticale resurgit régulièrement et se transforme. Il s’agit d’une tour dans laquelle cultures et élevage seraient exploitées en aquaponie -agriculture hors-sol et élevage de poissons s’entretenant mutuellement, sans intrant chimique- minorant toute forme de déchet. Tous les débouchés de l’agriculture peuvent être transposés en ville, y compris la production de matières premières pour l’industrie. La production de micro-algues sur les façades ou les toits des immeubles est déjà en cours d’expérimentation : ces végétaux ont un rôle de filtration et, après récolte, sont utilisés en cosmétique ou en chimie… Voire sont transformées en carburant. Au rythme où vont les choses, la frontière ville/campagne pourrait ne plus être aussi nette dans les décennies à venir.
Qu’est-ce qu’on mange ?
On peut planter en ville les mêmes plantes potagères qu’en zone rurale en respectant le climat local et le calendrier des cultures. Parmi les plus simples à cultiver en jardinière ou sur petite parcelle, on trouve : salades, aromates, blettes radis, tomates, courges, courgettes, aubergines pois, fèves et haricots, fraises… A Paris, 33 projets pilotes consistent à mettre en culture des champignons –évidemment !- du houblon (sur le toit de l’opéra Bastille), des légumes nains etc. adaptés au climat tempéré.