L’entrée des musées dans l’ère numérique répond à un mouvement irrépressible. Elle ouvre sur un monde d’images et d’idées qui donnent le tournis. Comme dans une visite virtuelle, appuyons sur « Pause » pour y regarder de plus près.
Levons tout de suite quelques malentendus : la digitalisation des musées semble inéluctable, mais elle n’est ni récente ni liée aux dernières évolutions technologiques de l’iPhone ou de l’imagerie 3D. Le Louvre avait déjà sa visite virtuelle sur CD-ROM au début des années 90 ! De même, penser qu’on ferait facilement (re)venir les jeunes ou les foules dans les lieux d’expositions grâce à des applis ou des espaces numériques est trop réductrice. Et pourtant, il n’est plus un musée aujourd’hui qui n’utilise le digital, du MoMa à la Cité interdite de Pékin.
Nouveau medium
Les grands musées, Le Louvre et Versailles en tête pour la France, se sont très vite mis aux outils numériques parce qu’ils répondaient à leur mission de médiation culturelle : les œuvres photographiées ou scannées se démultiplient et touchent d’autant plus de public… Autant le catalogue papier était un moyen de prolonger la visite, autant la digitalisation a permis de concevoir aussi l’avant-visite : programmer son parcours, avoir des infos pratiques etc. Elle est aussi très vite apparue comme une nouvelle solution d’inventaire et de conservation de certaines œuvres précieuses : ouvrages anciens ou pièces archéologiques, « plus vieil herbier du monde » du Museum d’Histoire naturelle ou sculptures trop fragiles pour être montrées. Certains trésors quasi impossibles à exposer peuvent désormais être dévoilés au public, sur le site web de l’institution ou sur appli, en complément des collections permanentes. Les espaces numériques se présentent alors comme de nouvelles salles du musée, accessibles à distance ou sur des écrans installés dans le lieu physique. Le scan des œuvres en 3D n’est pas nouveau, on en est maintenant à la restitution en 3 dimensions, voire 4, via les casques de réalité virtuelle. Car les musées, contrairement au cliché qui les voudrait poussiéreux ou passéistes, utilisent les possibilités du numérique tous azimuts : pour valoriser leurs fonds auprès d’un maximum de publics, très pragmatiquement pour leur billetterie en ligne, mais aussi pour leur communication.
Nouvelle communication
Il serait naïf de penser que les musées, quoique financés sur fonds publics pour certains, échappent à la concurrence. Ils cherchent à conquérir le cœur des visiteurs, à la fois parce que billets et boutiques constituent une partie de leurs ressources et parce que leur réputation et leur rayonnement international en dépendent. La digitalisation représente un levier majeur dans cette compétition implicite. Elle est employée pour toucher plus spécifiquement les jeunes, en misant sur l’effet « lanterne magique » des bornes interactives et des applis ludiques ou même en faisant appel à leur marque préférée de jeux vidéos pour créer un guide multimédia, comme c’est le cas au Louvre depuis plusieurs années. Le développement des visites virtuelles s’appuie sur l’idée que les gens se déplacent pour venir voir des œuvres qu’ils connaissent déjà… La foule compacte qui se masse devant Mona Lisa toute l’année ne dira pas le contraire ! La réalité augmentée ouvre encore de nouvelles perspectives dans ce domaine, tant pour intéresser les jeunes, que pour donner une dimension « grand public » aux visites car elle est par essence du côté du spectacle.
Nous avons désormais tous la possibilité d’aller au musée, depuis notre smartphone, de chez nous, en vacances, dans la rue… Et le numérique impacte la façon dont les visiteurs abordent et reçoivent les œuvres. Il y a une chance qu’ils « s’amusent » d’avantage, mais aussi qu’ils se mettent dans une posture plus active, qu’ils deviennent des consom’acteurs de la culture : ils peuvent faire des choix éclairés sur la visite IRL après avoir parcouru les galeries virtuelles ou se mettre en scène en diffusant sur les réseaux sociaux leur selfie avec une toile de maître.
Nouvelles questions
Quand Google a lancé en 2011 son Art Project (devenu Google Arts & Culture, il inclut plus de 1000 lieux aujourd’hui) visant à mettre en accès libre de grands musées à travers le monde, des voix se sont élevées pour défendre la propriété intellectuelle et les droits des conservateurs. Cependant, les galeries elles-mêmes empruntent ce chemin en proposant de plus en plus d’images haute définition des peintures, sculptures, dessins tombés dans le domaine public pour une utilisation à but non lucratif. Il semblerait hautement anachronique que les étudiants en art, pour ne citer qu’eux, ne puissent pas travailler en ligne ! Une interrogation -pour le 22e siècle ?- reste en suspens : si l’œuvre reste la propriété de son auteur ou acquéreur, qu’en est-il de l’image numérique, en gigapixels, qui la reproduit ? Ne devient-elle pas une création originale ?